- MARINE MARCHANDE (HISTOIRE DE LA)
- MARINE MARCHANDE (HISTOIRE DE LA)Pendant des siècles, la mer – voie de communication naturelle – a représenté pratiquement l’unique moyen de contact entre les peuples éloignés, le support de la plupart des échanges internationaux. Que le passé de la marine marchande – ensemble des navires de commerce et des hommes qui les servent – soit prestigieux est donc normal. De fait, toutes les transformations appréciables de l’économie des hommes ont influé sur la marine marchande. En sens inverse, celle-ci a largement contribué à façonner l’économie; elle a notamment permis la naissance et le développement de certaines civilisations dont l’essor puis le déclin se confondent avec l’histoire de leur flotte de commerce. Certains auteurs ne font remonter son histoire qu’à la révolution industrielle du XIXe siècle. Or, s’il est indéniable que la marine marchande, en tant qu’industrie, n’a vu s’édifier ses structures actuelles qu’avec le développement de la propulsion à vapeur et l’intensification des courants commerciaux, c’est là une transformation profonde, plus qu’un commencement, et l’importance des flottes de commerce apparaît plus grande encore dans l’histoire pré-contemporaine que dans le monde moderne.Une telle évolution est avant tout imputable au fait que la marine marchande, bien qu’elle reste et pour longtemps encore le mode de transport principal des échanges mondiaux de marchandises, a perdu le monopole des relations économiques internationales. Elle ne peut plus dès lors être l’instrument fondamental de rapports de domination économique d’autant que la propriété de la flotte de commerce mondiale, jadis réservée à un petit nombre de grandes puissances industrielles et commerciales, s’est largement diffusée notamment parmi les nations qui ont accédé récemment à l’autonomie.Ayant cessé d’être un facteur d’impérialisme, la marine marchande demeure en effet le garant de l’indépendance nationale, ce qui, parmi tous les avantages réels ou supposés qui s’attachent à la possession d’une flotte de commerce, est sans doute celui auquel les gouvernants sont le plus sensibles.La multiplication des flottes nationales s’est accompagnée d’un mouvement d’extension des mesures de caractère protectionniste destinées à favoriser la création et le développement de ces flottes naissantes. Le libéralisme maritime, après avoir été le principe directeur de l’organisation du transport maritime pendant un peu plus d’une centaine d’années, est ainsi de plus en plus battu en brèche. Doit-on pour autant en conclure comme certains que cette brève phase libérale n’est qu’un accident de l’histoire dans l’évolution séculaire de la marine marchande? (cf. TRANSPORTS Transports maritimes).1. La marine marchande avant la vapeurL’AntiquitéL’histoire de la marine marchande ne se confond pas avec celle de la navigation maritime, car, pendant des siècles, les seules cargaisons transportées provenaient de butins de guerre ou de pillages. Il semble donc que l’on ne puisse parler de véritable flotte de commerce avant le développement de la flotte crétoise au IIIe siècle avant notre ère et, surtout, avant les Phéniciens qui sillonnaient la Méditerranée vers 1000 avant J.-C. À bord de leurs galères birèmes, ils allaient troquer les étoffes rares, perles, encens et épices orientales embarqués à Tyr ou à Sidon, contre l’or de Gaule, l’argent et le plomb d’Espagne ou le soufre sicilien. Les Grecs qui, à leur suite, développèrent les échanges commerciaux dans le bassin méditerranéen, naviguaient à bord de galères perfectionnées, les trirèmes, pourvues de trois rangs de rameurs. C’est, dit-on, pour permettre le lancement d’un superbe navire marchand de Syracuse qu’Archimède aurait inventé la vis.Sous l’Empire romain, favorisé par la «pax Romana », le commerce maritime s’étendit à l’océan Indien et aux régions nordiques. Le transport du blé d’Afrique était courant. À cette époque, le monde maritime s’organisa au moyen d’institutions juridiques et commerciales qui allaient survivre à leurs créateurs, au-delà de la chute de l’empire, dans la tradition byzantine.Le Moyen ÂgeLe Moyen Âge est marqué par le développement de flottes de commerce dans la mer du Nord et la Baltique. Les commerçants de villes telles que Hambourg, Brême, Lubeck colportent dans ces régions laines et peaux de Russie, dentelles et draps d’Angleterre, huiles scandinaves: ils se groupent vers 1250 pour former la puissante Ligue hanséatique, syndicat professionnel chargé d’assurer la défense commune de villes membres contre les «pillards de mer et de terre» et qui acquiert en fait une indépendance quasi totale vis-à-vis des autorités terrestres (elle la conservera jusqu’au XVe s.). Le commerce maritime de la Ligue est étroitement réglementé et ce n’est qu’en des occasions spéciales, les « foires franches» (telle la foire de Bruges), que des échanges libres sont possibles avec d’autres commerçants. C’est au cours de ces foires, notamment, que s’entretiennent les relations avec les puissantes cités maritimes italiennes qui fournissent à la Ligue les produits de l’Orient. Car Venise, Gênes et Pise, grandes bénéficiaires des croisades (Saint Louis leur fit transporter son armée en 1268), dominaient totalement le commerce maritime de la Méditerranée du XIIIe siècle, depuis que Byzance s’était enlisée dans ses luttes contre les Arabes.Se développe alors le «prêt à la grosse aventure», accordé à des marins qui s’embarquaient pour des mois ou des années vers des contrées lointaines, à charge d’en rapporter de fabuleuses richesses destinées à rétribuer les prêteurs. C’est ainsi que Christophe Colomb prend en 1492 la «route des Indes» avec ses trois caravelles.Un trait commun unit armateurs de l’Antiquité et du Moyen Âge. Avant tout commerçants, ils n’utilisent leurs navires qu’aux fins de leur propre négoce, sans chercher à transporter de marchandises pour le compte d’autrui. Le XVIIe siècle marque, à cet égard, un tournant capital. Certains États maritimes disposent désormais de productions agricoles ou industrielles exportables en quantités importantes, pouvant fournir aux navires une cargaison de départ. Dans ces pays, par conséquent, l’expédition maritime, fructueuse à l’aller comme au retour, devient suffisamment rentable pour être une activité autonome. De cette époque datent les véritables armateurs pour qui l’expédition maritime ne représente plus l’accessoire d’une opération commerciale, mais cette opération elle-même.Le «Navigation Act» de Cromwell, en 1651, réserve le premier l’importation de marchandises au long cours au pavillon anglais. Sous des formes diverses, la France, le Portugal et l’Espagne adoptent la même politique dite du «monopole du pavillon». La conséquence de cette politique va être l’effondrement des flottes de nations dénuées de possibilités d’importation, faute de marché intérieur, telles les villes hanséatiques, ou de cités isolées sans arrière-pays pouvant fournir des cargaisons de départ à leurs navires, telles les républiques maritimes italiennes.Cette politique protectionniste trouve son expression la plus nette dans le trafic entre métropoles et colonies. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la marine marchande devient l’instrument de la colonisation. France, Hollande, Angleterre, Portugal et Espagne disposent de flottes importantes, consacrées au trafic entre leurs possessions des Indes ou d’Amérique. Les grandes compagnies, déjà prospères grâce au commerce de l’argent, jouissent de fructueux monopoles conférés par leurs gouvernements; les plus puissantes, la Compagnie hollandaise, vont chercher le thé et les soieries jusqu’en Chine. Dans l’Atlantique, la France, l’Angleterre et la Hollande font le commerce du sucre, du rhum et du tabac avec leurs colonies américaines, mais c’est au départ des côtes de Guinée que s’opère le trafic le plus fructueux, la sinistre traite des esclaves noirs qui restera licite jusqu’au début du XIXe siècle.À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, en même temps qu’à l’apogée de la marine marchande à voiles, on assiste à l’avènement de la suprématie anglaise. Une victoire sur la Hollande, le traité de Paris qui, en 1763, ruine les prétentions coloniales de la France, les guerres napoléoniennes, enfin, lui permettent d’accéder à cette situation de domination.2. Marine à vapeur et liberté des mers (1850-1945)La marine à vapeurEn 1819, l’Atlantique était pour la première fois franchi à bord d’un navire des États-Unis équipé d’un système de propulsion à vapeur: le Savannah. Mais c’est au cours de la seconde moitié du XIXe siècle que l’utilisation de la houille bouleverse les données du commerce maritime. Il s’agit alors de révolution: l’aléa qui pesait sur chaque traversée du fait du caprice des vents disparaissait; on pouvait désormais organiser des voyages d’une durée précise à date fixe: on pouvait prévoir. Aussi les lignes régulières se développèrent-elles rapidement. L’ouverture du canal de Suez, en 1869, accéléra le processus, le canal étant impropre à la navigation à voile, de même que la mer Rouge.Autre nouveauté: la vitesse des navires ne dépendant plus de l’habileté du manœuvrier et de la surface de la voilure mais de la quantité de charbon brûlé (facteur extensible à volonté) augmentait considérablement. Par ailleurs, la construction de coques en acier (en fer, pendant les premières années) rendit les navires plus solides, plus spacieux aussi. À dimensions égales, la capacité de charge d’un navire à vapeur était de 45 p. 100 supérieure à celle d’un voilier. L’apparition de la propulsion à hélice représenta un nouveau progrès.En même temps que la demande de transport maritime, les besoins de fret s’accroissaient considérablement, sous l’impulsion notamment des chemins de fer qui facilitaient les relations entre rivages et arrière-pays. La nature même des cargaisons transportées se modifia: il ne s’agissait plus de denrées rares et précieuses comme dans l’Antiquité, ni même de produits exotiques comme au XVIIe siècle. La grosse masse de fret était maintenant composée de pondéreux, marchandises lourdes et de faible valeur, à commencer par le charbon (les premiers cargos spécialisés sont des charbonniers).La marine marchande devient une industrieLa contrepartie de ces progrès était le coût accru de l’entreprise d’armement, le prix d’un navire à vapeur étant nettement supérieur à celui d’un voilier et son exploitation beaucoup plus onéreuse, notamment à cause du prix du charbon. Pour cette raison, les transports de minerai des antipodes continuèrent jusqu’au début du XXe siècle à être assurés par des voiliers. Pour cette même raison, l’armement, supposant des investissements considérables, devint l’affaire presque exclusive de gros capitalistes. Ainsi, la majeure partie de la flotte de commerce mondiale allait-elle peu à peu se concentrer entre les mains de quelques puissantes sociétés: citons l’«International Mercantile Marine» créée, en 1902, par J. P. Morgan, qui ne comprenait pas moins de six lignes régulières sur l’Atlantique nord!Enfin, l’ère de la navigation à vapeur est également l’âge d’or des paquebots, prestigieux navires affectés au transport des passagers, qui se disputaient la clientèle internationale à l’aide d’installations luxueuses et en misant sur des records de vitesse. En 1882, l’Alaska filait dix-sept nœuds (soit 31,5 km/h), en 1900, le Deutschland filait vingt-trois nœuds et, en 1907, le Lusitania de la Cunard filait vingt-six nœuds (soit 45,15 km/h) grâce à des machines développant 50 000 chevaux. Le Normandie , le Queen Elizabeth , le Queen Mary resteront célèbres. Toutefois, à côté du luxe de ces transatlantiques, il faut signaler l’importance prise au début du XXe siècle par le transport transatlantique des émigrants, voyageurs de pont dont certaines flottes passagères – comme la flotte italienne – se firent une spécialité rentable (en 1913, 560 000 Italiens passèrent outre-mer) jusqu’à la promulgation des lois américaines de contingentement en 1920.Le libre-échange maritimePuisque les navires à vapeur brûlaient du charbon, l’Angleterre, grand producteur de ce minerai, pouvait non seulement approvisionner ses navires, mais leur assurer un précieux fret au départ de ses ports. Or elle était déjà maîtresse incontestée des mers depuis la chute de Napoléon Ier, possédant à elle seule un tiers de la marine marchande du monde entier. Sa puissance maritime de fait était telle qu’il devenait inutile de la protéger en droit. Au contraire, la concurrence ne pouvait lui être que profitable. Aussi, en 1849, avec l’abolition du «Navigation Act» de Cromwell, l’Angleterre s’érige-t-elle en champion du libre-échange. Elle inaugure ainsi l’égalité des pavillons sur une mer ouverte à tous. Cette politique, donnant libre cours à la concurrence, signifie en réalité la suprématie du plus fort, c’est-à-dire le triomphe de la Grande-Bretagne. Elle sera pratiquée jusqu’à la Première Guerre mondiale puis, après une interruption entre 1914 et 1918, sous une forme un peu atténuée jusqu’en 1939.La guerre de 1914-1918Sinistre parenthèse dans une ère de libre concurrence, la Première Guerre mondiale eut pour effet de soustraire au commerce international une grande partie de la flotte de commerce: 6 604 navires marchands, représentant 12 850 814 tonneaux de jauge brute (t.j.b. : cette mesure de capacité, très usitée, représente 2,83 m3), furent coulés pendant les cinquante et un mois que dura la guerre. Les États belligérants utilisaient sous contrat, puis plus tard réquisitionnaient leurs navires marchands pour les affecter à leurs propres approvisionnements, ou les convertir en flotte de réserve (en 1915-1916, 60 p. 100 de la flotte marchande française fut réquisitionnée). Pour remédier à l’insuffisante capacité de leur flotte, les États-Unis et la Grande-Bretagne lancèrent de vastes programmes de construction navale. C’est ainsi qu’en 1918 le tonnage disponible excédait nettement les besoins du commerce international et qu’en 1920, 11 millions de tonnes restant inutilisées, une sévère crise frappait l’ensemble de la marine marchande mondiale, ce qui entraînait une concentration des flottes et une politique de subventions et d’aides gouvernementales.La guerre de 1939-1945Le même processus qui avait marqué la flotte de commerce pendant la Première Guerre mondiale se reproduisit au cours de la Seconde, à une échelle accrue: 6 910 navires marchands, représentant 33 885 395 tonneaux de jauge brute, furent coulés. L’effort de construction navale des États-Unis, à cette occasion, fut gigantesque. Aussi la flotte de commerce mondiale était-elle, malgré les destructions, légèrement plus importante en 1945 qu’en 1939 (environ 70 millions t.j.b. contre 69,5); mais les constructions de guerre ne répondaient plus aux exigences de rentabilité économique du temps de paix. Il faut néanmoins souligner le rôle joué par les liberty ships , navires construits en série pendant la guerre par les chantiers américains, dans le redressement de l’économie maritime d’après guerre. Notons enfin que la Seconde Guerre mondiale marque la fin de la prééminence maritime de la Grande-Bretagne, désormais dépassée par les États-Unis (tabl. 1).3. La marine marchande après la Seconde Guerre mondialeDifficultés économiquesLes premières années de l’après-guerre ont été consacrées à la reconstitution des flottes de commerce détruites au cours du conflit. Une fois la reconstruction achevée, de nouvelles difficultés extrêmement sérieuses sont venues assombrir les perspectives économiques de la marine marchande.Au premier rang, il faut placer la concurrence du transport aérien. Le développement de l’aviation commerciale depuis la guerre est cause, notamment, de la disparition quasi totale du trafic régulier de passagers (en 1957, l’avion avait «rattrapé» le navire sur le trafic transatlantique, chacun des deux ayant transporté un million de passagers) et de l’écrémage de tous les transports de produits légers et luxueux dans le prix desquels le coût du transport n’entre de toute façon que pour une faible part.La concurrence au sein même de la marine marchande s’est d’autre part fortement avivée, sous l’influence de trois facteurs. Entre 1947 et 1969, quarante-cinq flottes nouvelles se sont créées: de nombreux pays neufs estiment en effet que les difficultés de création d’une flotte de commerce sont largement compensées par l’indépendance économique à laquelle elle permet d’accéder, par l’économie de devises étrangères, par la garantie de ne pas se trouver isolé en cas de conflit et par le prestige qui s’attache à la possession d’un pavillon. Il faut sans doute y voir aussi la réaction de pays qui ont longtemps souffert d’être tributaires de flottes coloniales ou du système d’organisation du transport de lignes régulières.Plus grave encore est le développement spectaculaire des pavillons de complaisance. Ces pavillons sont ceux que certains États (Panamá, Liberia) accordent de façon extrêmement libérale à des navires qui n’appartiennent en réalité aucunement à leurs ressortissants. L’origine de ces flottes remonte aux années vingt, époque où des navires de croisière des États-Unis passèrent sous pavillon panaméen, afin de se soustraire aux lois sur la prohibition de l’alcool. Mais elles se sont surtout développées après la Seconde Guerre mondiale avec la flotte pétrolière, née de la révolution énergétique. Les États qui accordent des pavillons de complaisance attirent les armateurs en n’assujettissant les navires qu’au minimum d’exigences fiscales, de standards sociaux et de sécurité. Des flottes organisées suivant de tels principes sont naturellement très compétitives et représentent une concurrence sérieuse pour les pavillons traditionnels, contraints de «jouer le jeu».Signalons enfin que les conférences maritimes (ententes internationales entre armements qui desservent le même secteur géographique et qui appliquent des tarifs de fret identiques), attaquées violemment de tout temps par les États en voie de développement (pays chargeurs de matières premières à bas prix) qui en restent tributaires, ont subi, à partir de 1960, une concurrence sévère de la part d’«outsiders» puissants, comme certaines flottes d’Europe orientale.À ces difficultés déjà sérieuses, il faut ajouter l’accroissement constant des coûts d’exploitation, tenant à la technicité toujours plus grande des bâtiments modernes, à l’apparition de charges nouvelles (obligation de réparer les dommages de pollution causés par les hydrocarbures) et, surtout, aux revendications sociales du personnel maritime. Le régime social des marins, jadis en avance sur son temps (la marine marchande française, par exemple, disposait d’une caisse de prévoyance dès 1898), n’est guère aujourd’hui plus avantageux que le régime terrestre. Or, si les conditions particulières de la vie en mer justifient un régime de travail spécial, les marins, soutenus par de puissants syndicats, entendent bien n’être pas défavorisés pour autant.Les transformations récentesPour sortir de la mauvaise passe qu’elles traversent, les marines marchandes modernes se sont engagées dans une double voie: abaissement des coûts et spécialisation. Les politiques et les structures de la marine marchande ont, elles aussi, été influencées par les données nouvelles.La recherche de l’abaissement des coûts a poussé, jusqu’en 1973, les compagnies de navigation à accroître de façon spectaculaire le tonnage des navires et particulièrement des pétroliers. Dans la course au gigantisme, les chiffres sont éloquents: l’Atlantic Seaman , lancé en 1950, avait un tonnage de 30 115 tonnes de port en lourd (t.p.l. : unité de poids correspondant sensiblement au poids des marchandises susceptibles d’être transportées); l’Universe Ireland et le Pierre Guillaumat lancés respectivement en 1969 et 1977 avaient un port en lourd de 327 000 et 550 000 tonnes. La tendance au gigantisme allant de pair avec l’intensification des besoins mondiaux en pétrole, la part des pétroliers dans la flotte mondiale s’est accrue constamment jusqu’en 1980 (tabl. 2).Depuis cette date, les pays européens ont de plus en plus cherché à freiner leurs importations de pétrole et le nombre de navires pétroliers désarmés n’a cessé de croître.La recherche d’une plus grande efficacité économique dans le domaine de la navigation de lignes régulières a entraîné la mise en exploitation, dès le milieu des années 1960, de navires porte-conteneurs, chacun constituant une unité d’emballage aux dimensions standardisées. Ces navires dont la taille s’accroît sans cesse – certains d’entre eux peuvent transporter plus de 4 000 conteneurs – évincent peu à peu les navires conventionnels sur la plupart des secteurs géographiques. Malgré le coût élevé de tels navires, des installations terrestres requises, des parcs de conteneurs à acquérir et à gérer, l’économie est certaine, car l’accélération des opérations de manutention se traduit par un gain de temps de relâche dans les ports et, par conséquent, une rotation plus rapide des navires et donc une rentabilité accrue.Les progrès de la manutention classique sont eux-mêmes remarquables (ouverture automatique des cales, pompage des liquides et céréales, système du roulage). Enfin, l’automatisation appliquée aux navires permet aujourd’hui de réduire considérablement les équipages: la trirème athénienne classique de 100 tonneaux avait un équipage de deux cents hommes; celui des navires les plus modernes n’excède pas dix-huit hommes.Quant à la spécialisation poussée des flottes de commerce, elle permet aux navires modernes d’assurer le transport et la manutention de chaque marchandise dans les meilleures conditions de conservation et de rapidité. Citons, parmi les navires spécialisés, les méthaniers aptes au transport des gaz liquéfiés à très basse température, les transporteurs de voitures neuves, les transporteurs de colis lourds, les transporteurs de produits chimiques... Parallèlement, des flottes de navires à double ou triple spécialisation se sont développées. Ces navires bivalents ou polyvalents sont moins vulnérables d’un point de vue économique que les unités à vocation unique. Parmi ces navires, on mentionnera : les pétrovraquiers, les pétrominéraliers, les porte conteneurs-rouliers, les vraquiers-porte conteneurs...La flotte de navires à passagers s’est, de son côté, beaucoup transformée. Les navires de ligne tendent à disparaître presque complètement, à l’exception de quelques grands paquebots, ambassadeurs de prestige, au profit des transbordeurs qui assurent le plus souvent des liaisons courtes (trans-Manche, relations entre la France et le Maghreb). Par ailleurs, les flottes des croisières n’ont cessé de perfectionner leurs unités pour tenter de maintenir leur place ou même de l’améliorer sur un marché de plus en plus concurrentiel.Le cadre institutionnel mondial dans lequel la marine marchande exerce son activité connaît également une profonde mutation. Les pays en développement ont trouvé dans la C.N.U.C.E.D. (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement : organisme spécialisé de l’O.N.U.) une tribune pour exprimer leurs doléances contre une organisation du transport maritime mondial, qu’ils estiment trop imprégnée par les rapports de domination économiques qui prévalaient avant leur accession à l’indépendance. Ils s’efforcent, non sans succès, d’obtenir, par voie de conventions internationales, une réforme des règles de droit et des principes de fonctionnement du transport maritime. C’est au sein de la C.N.U.C.E.D. en particulier qu’a été conçu un code de conduite des conférences maritimes qui prévoit notamment le partage de certains trafics selon la règle dite du 40/40/20 (40 p. 100 étant réservés aux compagnies de transport maritime de chacun des pays co-échangistes, les 20 p. 100 restant étant accessibles à des armateurs battant un pavillon tiers). Après avoir fait reconnaître ce principe de répartition des cargaisons dans le domaine des lignes régulières, les pays en développement cherchent à l’étendre au domaine des transports de vrac : pétrole, minerais, matières premières. Ils visent aussi à éliminer les pavillons de complaisance. S’ils peuvent compter, dans leur aspiration à un nouvel ordre maritime mondial, sur le soutien des pays socialistes, les pays en développement, qui ne présentent pas d’ailleurs un front uni, se heurtent à l’hostilité, exprimée de façon plus ou moins ouverte, de la plupart des grands pays maritimes traditionnels. Face à une concurrence de plus en plus vive non seulement des pays en développement, des pays socialistes, mais aussi des nouveaux pays industriels du Sud-Est asiatique, les gouvernements des pays développés sont confrontés à un insoluble dilemme. Ou bien ils mettent en œuvre des mesures de caractère protectionniste (soutien financier de leurs entreprises d’armement, réservation de pavillon), qui sont à la fois excessivement coûteuses et contraires à leur tradition libérale, ou bien ils optent pour une politique de laisser-faire, qui condamne leurs entreprises à disparaître ou à s’expatrier et conduit à terme à l’élimination d’un secteur d’activité national auquel il leur paraît insupportable de devoir renoncer.
Encyclopédie Universelle. 2012.